Il y a quelques semaines, le vice-premier ministre et ministre de la Justice Vincent Van Quickenborne (Open VLD) a procédé au retrait de la reconnaissance de l’Exécutif des Musulmans de Belgique. Une reconnaissance officielle donc, de l’État. Mais sur le terrain, les musulmans eux-mêmes ne semblent jamais avoir totalement reconnu cet organisme censé les représenter. Retour sur les origines de cet organe contesté.
Alors que les premiers immigrés (en provenance principalement du Maroc) ont foulé le sol belge dès 1956, ce n’est que près de 20 ans plus tard, en 1974 que le culte islamique est officiellement reconnu en Belgique, devenant ainsi le premier pays européen l’inscrire dans la loi. Au départ, l’État belge fait du Centre islamique son principal interlocuteur en raison notamment des considérations diplomatiques mais très vite se pose la question de la représentativité des musulmans belges. A la fin des années 80, le Commissariat royal à la politique des immigrés lance alors l’idée d’une procédure électorale.
Une première élection refusée
Organisées sous la houlette du Centre islamique, ces premières élections, pour constituer un Conseil supérieur des musulmans, n’aboutiront pas. Le gouvernement refuse de reconnaître le Centre comme interlocuteur. « En avril 1990, 30 000 musulmans étaient inscrits sur les listes électorales tenues par les mosquées et le Conseil devait être installé en mai 1990. Plusieurs démarches furent effectuées par le gouvernement et par le Commissariat royal pour tenter d’arrêter ce processus. Faisant valoir qu’ils n’avaient nullement mandaté le Centre islamique et culturel, ils annoncèrent que la Belgique ne se considérerait pas liée par les résultats du scrutin. Le nouvel imam-directeur du CIC, Sameer Ar Radhi, estimait quant à lui que l’élection relevait uniquement du domaine religieux, et ne concernait en aucune manière le gouvernement, puisque la Constitution belge interdit à l’État d’intervenir dans les affaires religieuses » explique Caroline Sagesser, islamologue, dans un article publié pour le Cairn.info.
L’Exécutif : un manque de reconnaissance dès le départ
Le gouvernement reprend alors la main et constitue un Conseil supérieur des sages mais les mosquées refusent de lui accorder leur confiance. « Le problème fut sorti de l’impasse par la constitution en 1998 d’une Assemblée de 68 membres, dont trois quart étaient élus et un quart coopté, et qui fut chargée de désigner en son sein un Exécutif des Musulmans. La composition de cet Exécutif était conçue pour refléter les différentes nationalités d’origine présentes dans le pays » analyse Caroline Sagesser. Son rôle devait être transitoire: préparer la création d’une instance représentative et consensuelle. Elle émet principalement des avis concernant les différentes questions relatives à la communauté islamique : l’enseignement de la religion islamique, représentation dans les prisons et les hôpitaux… Mais la principale critique formulée à l’égard de cet exécutif concerne ses membres et l’absence d’autorité religieuse : ni savants (docteurs de la loi, théologiens), ni imams ne sont élus au sein de l’organisme. « Cette critique à l’égard du manque de compétence religieuse de l’organe représentatif restera vive au sein du tissu associatif musulman jusqu’à aujourd’hui. Elle demeure l’une des raisons de la méfiance exprimée par les mosquées à l’égard de l’actuel Exécutif des Musulmans » pointe l’islamologue.
L’Exécutif des Musulmans est né
L’assemblée des 68 membres propose alors au ministre de la Justice une liste de candidats composée de 17 élus : 7 Marocains, 4 Turcs, 3 personnes appartenant à une autre nationalité et 3 convertis. Un seul membre est refusé suite à un avis défavorable de la Sûreté de l’État. Un contrôle de sécurité avait été opéré pour éviter que l’organisme soit infiltré par des radicaux, la crainte concernait d’éventuels liens avec le GIA. L’Assemblée refusa de présenter un autre candidat et la composition de l’Exécutif fut donc limitée à 16 personnes. Le nouvel Exécutif prend officiellement ses fonctions le 1er juin 1999. « Le traitement de l’islam est doublement spécifique. D’une part, c’est le seul culte dont l’organe représentatif découle d’une élection au suffrage universel des fidèles. D’autre part, la procédure appliquée à partir de la fin des années 1990 fut largement influencée par des motifs sécuritaires, ce qui conduisit à avoir vis-à-vis de l’islam des exigences qu’aucun autre culte ne s’était vu imposer. La définition stricte des conditions de participation à l’élection et d’éligibilité à l’organe chef de culte islamique (y compris une condition de connaissance linguistique et une condition de diplôme) pouvait déjà être considérée comme une marque d’ingérence de la part des pouvoirs publics. L’une des conditions d’éligibilité consistait en la signature d’une déclaration d’allégeance à la Constitution belge. Par ailleurs, la procédure de screening des candidats à l’Exécutif constituait elle aussi une forme d’ingérence dans l’organisation du culte islamique. »
De nombreuses dissensions
Très vite, l’Exécutif fut confronté à des tensions tant externes qu’internes. En janvier 2001, l’Assemblée émit un vote de défiance à l’égard de l’Exécutif dont elle réclama et obtint la démission. Une nouvelle équipe prit le relais mais là encore des tensions apparurent. C’est sous le mandat de Laurette Onkelinckx, alors ministre de la Justice en 2005, qu’eurent lieu de nouvelles élections. Par la suite, l’exécutif sera secoué par plusieurs crises, et les démissions seront nombreuses à la suite de votes de défiance de l’assemblée. In fine, l’organisme n’a jamais totalement reçu le soutien ni des politiques, ni des musulmans qu’il est censé représenté. Un organe critiqué, dont le rôle reste flou pour de nombreux fidèles. Si le ministre de la Justice a officiellement retiré sa reconnaissance à l’Exécutif en ce début d’année, les musulmans l’ont-ils un jour reconnu ?