De par son nom l’Exalté,
Le 11 septembre, un jour de mémoire dans le conscient musulman belge
Le 11 septembre de chaque année est, pour les citoyens musulmans de Belgique, une date phare qui impulse en eux l’expression du processus de construction-éveil d’une identité mémorielle qui relie l’être à l’histoire, et ancre symboliquement l’humain dans un repère temporel et spatial.
Le devoir de mémoire invite nos consciences à la culture du rappel, comme le dit Dieu l’Exalté : [Et rappelle car le rappel est profitable aux êtres de foi], (51-55). Nous ne n’avons pas le droit à l’oublier, à l’amnésie historique, mais nous avons l’exigence du devoir de mémoire afin de dépasser les crispations, la logique de la peur et l’identité sclérosée. Dieu l’Exalté dit : [Et rappelle-leur les jours de Dieu], (14-5). Abdullah Ibn ‘Abbas (m.687), sur lui la paix, dit : [les jours de Dieu, sont les jours de grâce et de disgrâce].
La Vie de l’Imam Sadek Charaf : Un Parcours de Foi et d’Engagement
Le samedi 11 septembre 1993, Bruxelles, a vu mourir l’imam Sadek Charaf, que Dieu lui fasse miséricorde. Né le mardi 12/03/1355H-02/06/1936G à Mansourah (Egypte), à l’Est du delta, dans une famille modestement aisée, il sera éduqué dans la tradition religieuse et la piété. Il va y suivre le cursus ordinaire dans l’école coranique traditionnelle, kutâb où, à 10 ans il mémorisait le Coran. Il est orienté vers l’institut azharite préparatoire, puis secondaire et étudia les sciences religieuses. Il emprunte alors un cursus au Caire, au sein de la prestigieuse université El-Azhar, où il intègre la faculté de théologie, usûl ad-dîn de 1958 à 1963, et où il côtoie les ulémas, mosquées, assises et bibliothèques, et obtient son diplôme de troisième cycle.
Animé par le sens de l’engagement citoyen, et fervent défenseur de la dignité du peuple
opprimés, il accomplit alors son service militaire, et ce, endéans une période de conflit avec
l’entité sioniste terroriste israélienne. Après cela, par vocation de da ‘wa, missiologie, il se porte volontaire comme coopérant pour l’enseignement des sciences islamiques et de la langue arabe pour le Togo, où il va séjourner entre (1964-1973), tant à Sokodé et ensuite à Lomé. Il y apprend la langue française afin de véhiculer son message tant au Togo que dans les pays limitrophes qu’il visita dans le cadre de sa da‘wa. Le choix de cette vie précaire au détriment d’un poste au ministère des affaires religieuses au Caire, lui a permis d’acquérir des qualités humaines de sagesse, d’esprit d’initiative et de sens de responsabilité.
Il y fonda deux écoles de formation religieuse et de langue arabe. L’imam va alors durant près d’une décennie tenter de structurer l’islam togolais. Il élabore une assemblée des théologiens du Togo, au sein de l’UMT (UnionMusulmane du Togo), où se regroupaient diverses associations et organisations musulmanes. Il étudie alors la langue française afin de véhiculer son message dans la région et les pays limitrophes, et de s’imprégner de la culture ambiante, et il présentera le CEB en 1969. L’imam est en contact avec une aire culturelle de l’islam non arabophone. Cet islam africain sub-saharien constitue pour lui, un environnement formatif qui contribua à l’édification de sapersonnalité. Espace d’un islam confrérique et archaïque, il tente d’unifier les zawya Qadiriya, Tijaniya et Tarbiya, pour mettre un terme aux tensions entre elles, et relever les défis du temps.
De retour au Caire, El-Azhar et le ministère des affaires islamiques lui proposent une mission à Bruxelles dès mars 1974. Il se consacra à l’enseignement et de prédication au sein du CICB (Centre islamique et culturel de Belgique). Dès 1977 il entreprend une thèse de doctorat à l’UG (Université de Gand), autour de la thématique du cadre des systèmes éducatifs musulmans à El-Azhar. Etant en présence d’une composante musulmane hétérogène, il devient une figure populaire, respectée et appréciée. Il gère alors le comité des théologiens au CICB. Il s’implique pour l’instauration du CSMB (Conseil Supérieur des Musulmans de Belgique), et dirige son conseil des théologiens.
Pédagogue, il s’engage dans la formation desfuturs enseignants, imams et théologiens, au sein de l’IEHEI (l’Institut Européen des Hautes Etudes Islamiques), de Bruxelles. Il oriente et accompagne avec profondeur spirituelle et sociale les musulmans.Il tisse un réseau dans divers pays européens, visite les mosquées et conseille les musulmans dans leur quête de construction identitaire. Directeur de da‘wa en Europe occidentale et enseignant à l’IEHEI, il a été directeur du CICB en 1991, pour une durée de 6 mois et en fin 1992 jusqu’à son décès. C’est suite à une période d’épreuve lourde par des soucis de santé, qu’il décède le samedi 24/03/1414H-11/09/1993G, à l’hôpital Erasme à Bruxelles. Les obsèques se sont tenues au CICB le mardi 14/09/1993, et il fut inhumé le 15/09/1993 au cimetière d’El-Baki‘e à Médine, au côté du bien-aimé le Prophète Mohamed, sur lui et sa sainte famille la paix et le salut de Dieu.
Une veillée commémorative aura lieu le samedi 18/09/1993, où plusieurs témoignages vivants et élogieux en son honneur seront présentés. Nous pouvons souligner notamment ceux d’homologues de cheikh Sadek Charaf, dont cheikh Hassan Ibn Seddiq (m.2010), et cheikh Abdellah Moudni (m.2021), que Dieu leur fasse miséricorde, tous les deux théologiens ayant vécus en Belgique entre deux et trois décennies.
L’Héritage Spirituel et Social de l’Imam Sadek Charaf
La vie de l’imam Sadek Charaf est indivisiblement celle d’un savant et d’un militant. Pionnier
de l’art discursif islamique Togolais et Belge, le verbe charafien permis de déceler les contours d’une figure emblématique de l’islam européen. Son enseignement revivifie la foi dans le coeur des fidèles face à l’ignorance, au matérialisme et à la superstition. Erudit, homme de science, de foi et de prière, il aura joué un rôle important dans l’aménagement des procédures et des implications socio-spirituelles des musulmans belges.
Sur la base de causeries religieuses, tant l’exégèse, tafsîr, que la jurisprudence, fiqh, tout comme la biographie prophétique, sîra nabawiya, son discours axé sur la morale, le social et le spirituel, offre une perspective de conscientisation citoyenne et spirituelle à la fois.
Sa présence, tant depuis sa formation au Caire, qu’au Togo comme enseignant, ou en Belgique comme formateur, la séquence historique de 30 ans de da`wa, aura fait de cet homme qui, à l’âge de 57 ans, aura été fidèle à son rêve de 18 ans, un réformiste de notre temps.
Laissant un patrimoine de manuscrits, d’enregistrements audio/vidéo et de publications, personnalité inspirante, il est pleuré par sa propre communauté, et il reste dans le cœur l’immortel ami, l’éternel instructeur et l’indélébile père spirituel de toute une génération. Le danger qui nous menace est l’ignorance totale du patrimoine de nos ulémas en Belges, par les générations montantes, du fait de l’absence de leur évocation dans le discours de beaucoup de nos imams aujourd’hui.
L’Éveil de la Conscience et le Rôle des Ulémas
Dieu l’Exalté, nous renvoie à l’éveil de la conscience de notre finitude : [Certes, nous
appartenons à Dieu et vers Lui est notre retour], (2-156). Ainsi, parler du décès de nos ulémas et éveiller leur mémoire, est d’une nécessité priorité et capitale. Ils sont lumière de Dieu sur terre, les jalons qui rappellent le cadre référentiel, le respect de la norme et l’importance du cheminement éthique et spirituel. Ils sont les amis intimes de Dieu, les saints, awliyâ, rapprochés de Sa science et de Son être. Dieu l’Exalté dit : [Certes, craignent véritablement Dieu parmi Ses serviteurs, les savants], (35-28). Lorsque tout est là pour appeler à l’oubli, lorsque la jahilliya, le non-sens devient la norme, l’essentiel est de purifier son coeur, de s’isoler dans la présence et de se protéger par le silence de ar-rabaniyya, la seigneurie, par laquelle l’on aspire aux caractéristiques divines pour être co-créateur du divin, l’Exalté, constamment rénovateur dans son activité cosmique, afin que les humains aspirent à la piété.
La Perte des Savants et les Dangers de l’Ignorance
La tradition prophétique, hadîth, dit : [Les ulémas sont les héritiers des prophètes], selon Abû Dardâ (m.652), que Dieu l’agrée, et relaté par l’imam Ibn Maja (m.886), Abu Dâwud (m.888) et Tirmidhi (m.892), que Dieu les agrée. Un autre hadîth dit : [Dieu ne reprend pas la science
en l’arrachant des serviteurs, mais en rappelant vers lui les ulémas, (par leur mort). Et lorsqu’il n’y a plus de réel savant, les gens considèrent des illustres ignorants pour savants, ils sont interrogés, et ils donnent des avis juridiques, fatwâ sans aucun savoir, ils s’égarent et ils égarent], selon ‘Abdullah Ibn ‘Amr (m.683), que Dieu l’agrée, et relaté par l’Imams Bokhâri (m.870) et Muslim (m.875), que Dieu les agrée.
Ainsi, les ulémas éduquent, enseignent, conscientisent et inspirent sur la base d’une clairvoyance. Prenons garde à l’ère de la déroute de la parole, par des prédicateurs aux portes de l’enfer, des imams autoproclamés et des pseudo cheikh qui détruisent le patrimoine scientifique de ce que
d’autres ont construit, à cause de leur ignorance arrogante. L’Imam Ali (m.661), sur lui la paix dit : [Si l’ignorant venait à se taire, la divergence diminuerait]. L’imam Ibn ‘Assakir (m.1176), que Dieu l’agrée, dit : [La chaire des savants est empoisonnée].
Les Ulémas : Guides Spirituels et Modèles de Comportement
L’imam Sadek Charaf définissait les savants en disant : [Les prédicateurs pour Dieu sont
apatrides, et leurs moyens de subsistance se trouvent en leurs sciences]. Notre éthique est celle qu’enseignait l’imam Ja’far Sâdiq (m.765), sur lui la paix, disant à ses disciples : [Soyez pour nous des prédicateurs silencieux], et ils l’interrogent : [comment] ? Il leur répond : [De par votre comportement, votre engagement et votre détermination].
Ainsi, les ulémas sont une source de lueur d’espérance, ils soignent les cœurs et annoncent le Coran à l’homme irréligieux. Ils enseignent l’amour du bien, du vrai, du beau et du juste.
Soulignons, à la manière des Maîtres soufis, sur eux la miséricorde de Dieu : [La voie ne
s’entrouvre pas à celui qui aura précédé, mais à ce la voie s’entrouvre à celui qui est nourri de sincérité]. Les ulémas sont les véridiques et non pas ceux qui aspirent à la renommée. Sans verrouiller la mémoire pour le futur, il est important que nous puissions nous libérer de l’oubli, car tel le souligne notre Maitre philosophique, le Pr Roger Garaudy (m.2012), sainteté sur son âme : [l’avenir n’est pas ce qui sera, mais ce qui a déjà commencé], et à la manière de notre
Maitre spirituel, cheikh et Pr Sadek Charaf, sainteté sur son âme, éveiller notre quête de sens par le fait d’investir le vécu car : [l’alternance des jours entre les hommes, est le laboratoire de
la foi].
Yacob MAHI
Islamologue, Théologien,
Dr en Histoire et Sciences des Religions
Pour ceux qui souhaitent en savoir plus sur la vie de l’imam Sadek Charaf, un ouvrage détaillé est disponible en ligne.