Plusieurs rapports, fournis par le renseignement civil entre la mi-2019 et la fin de l’année 2021, ont permis de légitimer l’expulsion de l’illustre imam de la mosquée Al Khalil.
À l’époque, la décision avait été largement relayée par les médias du pays.
Pourtant, une nouvelle information, dévoilée par le journal Le Soir, fait beaucoup moins de bruit.
Le comité R, l’organe chargé de contrôler la Sûreté, estime que ces analyses sur la dangerosité de l’individu étaient « disproportionnées » au regard des informations tangibles détenues par le service.
Un rapport qui vient redonner de l’espoir à Mohamed Tojgani, qui réside à présent au Maroc depuis l’annulation de son permis de séjour. Il s’est confié à Musulmans.be.
Mohamed Toujgani, à droite, lors d’un rassemblement en hommage aux victimes des attentats de Bruxelles. © AFP
Musulmans.be : Mohamed Tojgani, le comité R estime qu’il y a eu « d’importants dysfonctionnements » dans la gestion de votre dossier, quelle est votre réaction ?
Mohamed Tojgani : D’emblée, je voudrais marquer ma reconnaissance à l’égard de l’État, des institutions belges et principalement du Comité R, qui a été chargé par le parlement, d’analyser le contenu des accusations qui me sont faites au sein de ce rapport.
Sachant que ces accusations ont été avancées, lorsque j’avais introduit une demande de naturalisation, j’y ai répondu de manière détaillée, tant par écrit qu’oralement.
Le tribunal de 1ère instance avait été satisfait de mes réponses.
Il avait accordé un avis favorable pour l’octroi de la nationalité.
Par contre, l’instance publique a alors interjeté appel, sur la base du fait que je ne maîtrise pas une des langues nationales de Belgique. Il va de soi que c’est là une chose que je reconnais.
Par contre, concernant les accusations qui me sont portées, je n’ai rien à voir avec cela, et je proclame mon innocence, et qu’il s’agit bien là, d’injustice et de transgression.
Les retombées de ses accusations ont amené la décision de me retirer la carte de séjour. J’estime que cela ne ressort nullement de l’expression de la justice à mon égard, et constitue une atteinte à mes droits fondamentaux.
L’espoir reste constamment une voie, dans un pays de droit et d’institutions, qui sauvegarde la dignité et les droits humains, et veille à la vérification de la diffusion d’informations qui se colportent.
Donc, me concernant, en réalité, je suis très heureux du contenu du rapport de ce comité, et je salue ses compétences, la profondeur de résultats et la pertinence de ses analyses.
J’ose espérer que les conclusions de ce rapport seront prises en considération par les instances concernées, ainsi que par la Justice.
J’ose espérer encore une fois, qu’après cela, pourront réellement se concrétiser la vérité et la justice, et que le mensonge et la calomnie se dissiperont, pour que mon honneur soit enfin rétabli.
©DR
Musulmans.be : vous estimez notamment que certains médias ont joué un rôle dans la diffusion de ces accusations ?
Mohamed Tojgani : Il est probable que quelques médias ont joué un rôle, et non pas des moindres, dans l’entretien des accusations pour le dénigrement de ma réputation, par le biais de l’instrumentalisation de ces accusations, et ce, jusqu’au moment où on a annulé mon droit de séjour en Belgique. Et pourtant, je suis arrivé en Belgique au début des années 80, et j’y ai vécu près de 40 ans, en tant qu’acteur éducatif, culturel, scientifique et prédicateur au sein des mosquées, tant en Belgique qu’à l’étranger, aussi bien sur le territoire et hors du sol européen. Mes positions ont toujours été claires et évidentes. J’ai constamment dénoncé les injustices et invité à la justice, pointant toute forme d’extrémisme, de violence, d’injustice et de terrorisme, peu importe sa forme, ses causes et sa source, et quelle que soit la personne qui l’accomplisse, car je suis convaincu que le sang est sacré et que la sacralité de la vie est non quantifiable, et que c’est Dieu seul qui a créé l’humain, par conséquent nul ne peut porter atteinte à la créature, comme l’on peut voir certaines exactions accomplies par des groupuscules extrêmes et radicalisés, sans se préoccuper de son appartenance culturelle, ou religieuse, ou de parti, ou idéologique.
Musulmans.be : Aujourd’hui, cela fait plus d’un an que vous n’avez pas pu revenir en Belgique, comment vivez-vous cette situation ?
Mohamed Tojgani : Cette réalité que j’ai vécue depuis plus d’une année et qui perdure encore, est difficile, puisque je suis éloigné de ma famille, de mes enfants, de mes petits-enfants, de mes étudiants, ainsi que ma communauté religieuse, et de mon milieu, mon contexte et de mon deuxième pays, la Belgique. J’ai été éloigné et j’ai vécu cette période comme un étranger, bien sûr, je suis dans mon premier pays, qui est mon cher pays qui m’a vu naître, grandir, éduquer, étudier, où j’étais Imam pour la première fois, avant de venir vers la Belgique. Mais, lorsque l’on est privé de rencontrer sa famille, ses enfants, il faut savoir que cela a été un choc émotionnel très dur pour certains de mes enfants et mes petits-enfants. Certains d’entre eux, sont actuellement suivis psychologiquement, car ils ont été touchés par un stress post-traumatique grave, des suites de cette décision. Il y a aussi bien sûr, les retombées néfastes sur le plan matériel, ainsi que sur le plan émotionnel, car je suis aussi suivi sur le plan médical en Belgique, vu mon état de santé, pour le souci du diabète, pour un souci cardiaque, ainsi que pour des soucis de tension. Je suis âgé et pensionné maintenant, et malheureusement j’ai été mis en quarantaine, comme si j’étais dans une grande prison. Je prie Dieu et Lui suis reconnaissant. Je m’oriente vers Dieu, exalté soit-Il, par des invocations. Il y a aussi des gens sincères parmi des amis proches qui invoquent Dieu et prie pour moi. Mon invocation principale est celle du prophète Noé, sur lui la paix, disant : « Oh, seigneur, je suis vaincu, fasses que triomphe (la justice) ». Et Dieu merci, la vérité éclate, par la grâce de Dieu, et ensuite par le sérieux d’institutions en Belgique, que je salue.
Musulmans.be : Comment envisagez-vous la suite de la procédure ?
Mohamed Tojgani : Je suis convaincu que tout est entre les mains de Dieu l’Exalté, et que Dieu décide dans son royaume ce qu’il veut, exalté soit-Il. Et, qu’il n’y aura que ce que Dieu aura prédestiné, et croyant fermement en le destin, et je suis satisfait face à ce que Dieu aura décidé à mon encontre. « Ne nous rencontrera que ce que Dieu nous aura prédestiné ». Ceci est mon intime conviction que j’enseigne à autrui. Le Prophète sur lui la paix nous a enseigné cette conviction de savoir que « ce que tu rencontreras comme souci, tu ne pourras pas le fuir, et ce que tu éviteras comme problème, tu ne le rencontreras guère ». C’est la raison pour laquelle lorsque j’ai subi cette injustice, je n’ai pas imploré Dieu contre quiconque, mais je me suis orienté vers Dieu exalté soit-Il, répétant constamment « Oh, seigneur, je suis vaincu, fasses que triomphe (la justice) ». Ainsi, mon espoir pour l’avenir, et je reste optimiste, est que la Justice sera équitable. Il s’agit d’une vérité que j’ai proclamée au sein du tribunal, lors de l’audience concernant la naturalisation, où j’ai répété cela en disant que la Justice me donnera raison, car je suis intimement convaincu de l’objectivité de la justice en Belgique. Et, quelle que soit la décision, je serai reconnaissant face à Dieu, en toutes circonstances, et en même temps, je ne pense pas que la Justice belge fera preuve de subjectivité et de partialité à mon égard. Au contraire, je suis convaincu que la Justice belge restaurera mes droits et rétablira m’a dignité. Je déplore la période que j’ai passée, éloigné de ma famille. Mais, par la volonté de Dieu, nous espérons que Dieu nous regroupera à nouveau avec nos enfants, nos petits-enfants, nos amis, nos étudiants et notre communauté, et que l’on se retrouvera sur le sol de mon deuxième pays, la Belgique, afin de poursuivre le parcours d’orientation et de guidance de la jeunesse, de conseil, de réforme et d’incitation à la sécurité à la paix et à la cohésion sociale, tout comme à la stabilité et au respect des droits des citoyens, de leurs biens et de leur personne. Voilà ce que nous diffusons comme enseignement parmi les gens. « Dieu est le Maître de son décret, mais hélas, beaucoup de gens ne savent pas ».