130 organisations et plus de 600 avocats de plusieurs pays ont saisi la Cour pénale internationale (CPI) pour lui demander de se pencher sur le « génocide » en cours à Gaza. Parmi les signataires, l’ASBL belge Justice and Democracy. Que peut-on attendre d’une telle plainte? L’association nous répond.
Musulmans.be : Pourquoi Justice and Democracy s’est-elle jointe à cette plainte internationale ?
Justice and Democracy : Notre ASBL Justice and Democracy a comme objet social la lutte contre toute forme d’injustice et d’atteinte aux droits fondamentaux. C’est donc fort logiquement que nous avons décidé de nous inscrire dans le cadre de la plainte qui a été déposée le 9 novembre dernier auprès de la Cour pénale internationale contre le génocide, entre autres atteintes au droit international (crimes de guerre, crimes contre l’humanité et crimes d’agression), qu’Israël est en train de commettre à Gaza.
Au moment de cet entretien, nous sommes d’ailleurs à plus de 130 organisations et plus de 600 avocats provenant de multiples horizons et pays. Et cette liste va sans doute s’allonger dans les semaines et mois qui viennent. À signaler par ailleurs : cette constellation de plaignants est accompagnée par un comité de professeurs de droit international, donc la plainte s’applique une rigueur absolue.
Musulmans.be: Que peut-on attendre de cette plainte ?
Justice and Democracy: Le caractère génocidaire des bombardements menés par l’armée israélienne contre la population palestinienne de Gaza, privée d’eau potable, de nourriture et d’électricité, ne peut plus être passé sous silence ; c’est une véritable entreprise de destruction de toute une population. La plainte introduite auprès de la CPI permet de placer cette situation dans le champ du droit pénal international.
Elle permet aussi d’interpeller les dirigeants des États et institutions compromis dans un soutien aveugle et complice à Israël. Ils doivent recevoir cette plainte comme une invitation à mettre fin à ce soutien et comme une mise en garde : au regard de la tragédie dont nous sommes tous témoins, ils pourraient tout à fait être poursuivis pour complicité de génocide.
Sur le plan médiatique, la bataille pour sensibiliser l’opinion publique fait rage également, surtout dans nos sociétés métamorphosées par les nouveaux moyens de communication et les réseaux sociaux. Au travers du dépôt de cette plainte devant la CPI, il est question de rappeler le caractère légitime et juste de la révolte du peuple palestinien et de sa lutte contre l’occupation israélienne.
Musulmans.be : En substance quel est l'objet de cette plainte et son contenu ?
La plainte entend faire une démonstration objective de la commission par Israël d’un génocide. Cette démonstration est centrée sur de multiples faits établis et même revendiqués par les dirigeants israéliens, et basée sur la jurisprudence des juridictions pénales internationales, dont la CPI. Il s’agit de mettre fin à l’impunité dont Israël jouit sur la scène internationale. Cet État pratique une politique de colonisation et d’apartheid depuis plus de 70 ans et doit rendre des comptes pour les crimes qu’il commet afin d’écraser les légitimes aspirations du peuple palestinien au droit à l’autodétermination.
Le procureur de la CPI s’est rendu à Rafah, ce qui est un geste fort. Alors que les puissances occidentales, qui s’étaient fortement mobilisées pour l’Ukraine, ne font rien pour la Palestine, et que très peu de pays soutenant le droit du peuple palestinien à l’autodétermination ont fait la démarche de ratifier le traité de la CPI, la société civile a souhaité se montrer présente aux côtés du procureur et aux côtés du peuple palestinien. Le procureur est donc renforcé dans l’optique d’une enquête qui doit conduire, le cas échéant, à confirmer la commission par Israël du crime de génocide.
Pour appuyer également leur action, les signataires de la plainte soulignent tous les cas pouvant être considérés comme “génocide” : “génocide par meurtre”, “génocide par atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale”, “génocide par soumission intentionnelle à des conditions d’existence devant entraîner la destruction physique totale ou partielle d’un groupe”.
Depuis le dépôt de la plainte le 9 novembre dernier, plusieurs États signataires, dont l’Afrique du Sud, ont également demandé à la CPI d’enquêter sur les crimes commis par Israël, ce qui constitue une évolution inédite dans l’histoire de ce conflit.
Attention : cette plainte est une action de “témoins”, tous extérieurs à la Palestine. À côté de cette plainte, des actions auprès de la CPI introduites directement par des victimes de Gaza sont en cours de préparation. Un temps est nécessaire pour instruire ces demandes, dans une situation bien compliquée. Certains dossiers sont déjà finalisés et soumis à la CPI.
Musulmans.be : Israël ne reconnaît pas la CPI, est-ce que cela peut jouer un rôle ?
Il est vrai qu’Israël n’a pas ratifié le traité de la CPI. Mais dans le cadre d’une procédure sur son champ de compétences, la CPI a rendu en février 2021 un arrêt dans lequel elle a tranché cette question : elle est compétente. Par ailleurs, de nombreux militaires et officiels israéliens ont aussi la nationalité de l’un ou l’autre État partie à la CPI, donc leur responsabilité peut de toute façon y être engagée.
En revanche, Israël n’ayant pas ratifié le traité, cet État peut tenter de faire obstruction à l’avancement de l’enquête du procureur de la CPI – elle lui interdit par exemple l’accès à Gaza -, et c’est aussi pourquoi il est important que les victimes palestiniennes de Gaza soient autant que possible soutenues dans leurs démarches pour faire appliquer le droit pénal international.
Musulmans.be : Depuis de nombreuses années, les Palestiniens ont saisi la CPI mais sans aboutir à de quelconques enquêtes. La CPI traiterait-elle le cas des Palestiniens avec beaucoup de retenue ?
Les précédentes tentatives avaient été étouffées par la pression des puissances occidentales. Cette fois, la situation est fondamentalement différente : en février 2021, la CPI a aussi reconnu la Palestine en tant qu’État ainsi que sa souveraineté sur Gaza, la Cisjordanie et Jérusalem-Est. La CPI est ainsi l’une des quelques institutions internationales à reconnaître aux citoyens palestiniens un accès identique à celui dont bénéficient les citoyens de n’importe quel autre pays.
Rien ne peut endiguer la marche déterminée de celles et ceux qui œuvrent pour la fin de la colonisation et la manifestation de la justice. Nous sommes raisonnablement optimistes quant à l’issue de cette action devant la CPI.