Le ramadan, mois de spiritualité, d’introspection et de réformes, est aussi le mois de la fraternité, de la communion. Mais pour certains convertis, l’heure de la rupture du jeûne n’est pas forcément un moment de partage, et rime parfois avec la solitude. Comment ces hommes et ces femmes qui ne sont pas nés dans des familles musulmanes vivent cette période particulière ? Musulmans.be est allé à leur rencontre.
Entre appréhension, inquiétude et doute, Tony Ricardo vit ce premier ramadan intensément. « C’est mon premier ramadan, c’est véritablement une discipline de vie. Se réveiller à 4h du matin, attendre jusqu’au soir alors que je travaille. C’est vraiment un mode de vie totalement différent de celui que je connais habituellement. Mais pour le moment tout se passe très bien, ma crainte se situe au niveau physique, est-ce que je vais tenir le coup jusqu’au bout ? C’est vraiment ma préoccupation. »
Déçu par la communauté
La plupart des amis de Ricardo sont d’origine marocaine, c’est d’ailleurs ce qui le mène tout doucement à s’intéresser à l’islam. « Ma conversion est arrivée assez rapidement, ce n’est clairement pas une rupture. Ceux qui le savent ne sont pas étonnés. Moi qui ai beaucoup d’amis musulmans, je m’attendais vraiment à être invité tous les soirs, à vivre ce ramadan entouré mais je dois dire que je suis très déçu, étonné même de la communauté des musulmans de naissance. Chacun fait sa vie et au final je me retrouve seul tous les soirs pour la rupture du jeûne, je m’attendais à ce que les relations humaines durant cette période soient très intenses mais ce n’est pas le cas. Finalement c’est un moment de connexion avec Allah encore plus fort » réalise le jeune homme de 35 ans.
Dans une famille non-musulmane
Anaïs, 19 ans et Emma 18 ans vivent leur deuxième ramadan. Elles habitent encore chez leurs parents. Si chez Anaïs, sa conversion est encore un sujet tabou, les parents d’Emma, eux, s’adaptent au choix de vie de leur fille. « C’est clairement mon moment préféré de l’année. Je ressens un tel bien-être. C’est clair que j’aurais aimé partager ces moments avec ma famille mais j’essaye de ne pas être toujours toute seule pour la rupture du jeûne. On organise des repas avec des amies converties comme moi, ou alors à la mosquée. Avec ma mère, c’est un sujet tabou, on évite le sujet et quand cela nous arrive de l’aborder, ce sont souvent des discussions très courtes » explique Anaïs. Chez Emma, on vit au rythme du ramadan. « Je vis dans une famille athée. Alors l’année dernière, quand j’ai annoncé ma conversion, mes parents ont été très inquiets. Ils avaient tous les clichés liés à l’islam en tête. Ils avaient peur quand je me rendais à la mosquée, c’était très compliqué de vivre pleinement le ramadan. Cette année, ça se passe très bien. Ils ont compris qu’ils n’avaient rien à craindre et donc je peux profiter intensément et me rendre à la mosquée, assister aux différentes conférences. Le soir, ils préparent le repas et me laissent ma part ou ils décalent leur heure de dîner pour que nous puissions manger tous ensemble. Je sais que j’ai vraiment beaucoup de chance, mes parents sont vraiment compréhensifs. »
L’expérience de la vie
Fabrice a 50 ans, il est converti depuis 24 ans. Marié à une marocaine, les ruptures du jeûne aujourd’hui ne sont plus du tout celles qu’il a connu à sa conversion. « J’avais 26 ans lors de mon premier ramadan. A l’époque, on pouvait encore prendre un café en arrivant au travail et manger son repas avant de rentrer. Les journées étaient très courtes. Néanmoins, quand je le pouvais je me rendais dans les mosquées pour pouvoir partager ce moment avec d’autres musulmans, nous sommes finalement des êtres sociaux. Nous avons besoin de ces moments de partage mais souvent après les repas, chacun rentrait chez soi, et les liens ne se créent pas. Surtout que je n’étais pas attaché à une seule mosquée. » A 60 ans, Brigitte, elle ne se souvient plus de la date de sa conversion : « Cela remonte à trop loin et ma mémoire me fait parfois défaut ! J’étais chrétienne pratiquante et je me suis mariée avec un musulman. Mais je ne me suis pas convertie rapidement, cela a pris du temps. Surtout que je savais que mon mari souhaitait me voir entrer en islam alors je freinais encore plus le processus parce que je voulais être totalement convaincue et ne pas le faire pour lui. Aujourd’hui, les repas de rupture de jeûne c’est souvent en famille, mais avec une bonne logistique, tout le monde participe. »
Créer des moments de partage
Convertie depuis 10 ans, Bernadette 64 ans, a eu la chance d’être souvent invitée chez des amies lors du ramadan. « Pas tous les soirs bien évidemment mais assez souvent et quand je me sentais un peu seule alors j’allais toquer à la porte d’une amie qui m’accueillait pour le repas, cela pouvait arriver qu’elle ne puisse pas partager son dîner parce qu’elle avait d’autres invitations mais de manière générale, je n’étais pas seule. Alors aujourd’hui, j’essaye de reproduire la même chose. J’invite des amies converties à partager le repas avec moi. Ce sont des beaux moments de partage. Je vis avec mon père de 97 ans dont je m’occupe, il ne comprend pas pourquoi je ne mange pas durant cette période mais de manière générale, il accepte plutôt bien ma conversion. Ce qui a été surtout difficile c’est de me voir porter le voile, il me trouve plus jolie sans ! Mes trois fils ont réagi différemment à ma conversion, au départ ils pensait que ce n’était qu’une passade mais après 10 ans, ils ont fini par comprendre que c’était vraiment un choix réfléchi. »
Un iftar tous les samedis
Il y a quelques années, quatre belges convertis à l’islam se rencontrent et partagent leur expérience. Ensembles, ils décident de créer Euroislam. L’objectif est d’offrir un accompagnement aux convertis. « Nous organisons une rencontre par mois durant l’année, généralement au restaurant. Et pendant le ramadan, nous organisons un iftar une fois par semaine, tous les samedis. A l’Aïd aussi, nous organisons un repas pour que toutes les personnes qui sont seules ce jour-là puissent vivre cette journée festive. L’objectif est de permettre de créer un réseau et de partager nos expériences. Les convertis qui vivent des moments difficiles peuvent trouver du réconfort et un écho à leur vie puisque d’autres ont vécu la même chose avant eux et peuvent partager leur expérience et leur apporter des solutions. Mais nous ne devrions pas exister, ce genre de structures devraient se trouver au sein même des mosquées. Malheureusement, on oublie les convertis, on oublie de les inviter à rompre le jeûne. C’est dommage. »