Le livre « Allah n’a rien à faire dans ma classe », récemment publié, suscite de vifs débats en Belgique et ailleurs. Certains le perçoivent comme une mise en garde face à une supposée radicalisation dans les écoles, tandis que d’autres, comme la politologue, spécialiste des questions d’islam et professeure à l’ULB, Corinne Torrekens dénoncent une « panique morale » nourrie par des stéréotypes.
Les auteurs, les journalistes Laurence Dhondt et Jean-Pierre Martin, se présentent comme spécialistes du monde musulman. Ils ont recueillis des témoignages de professeurs qui se disent désemparés face à la montée de « l’islamisme » dans leur classe. La directrice du GERME (Groupe de recherche sur les relations ethniques, les migrations et l’égalité) et professeure à L’ULB apporte une clarification importante sur le terme « islamisme », souvent utilisé à tort et à travers. « La définition académique de l’islamisme est celle d’un projet visant à créer un État islamique. Mais entre cette vision politique et des formes plus conservatrices ou spirituelles, il existe une multitude d’hybridations. » Elle rappelle qu’il existe une diversité de courants islamiques, construits dans des contextes historiques complexes, et que simplifier ces réalités ne fait qu’amplifier les préjugés.
Une peur souvent exagérée
Selon Corinne Torrekens, le débat autour de l’islam et des pratiques religieuses est trop souvent marqué par une logique de peur : « Nous assistons à une inflation du discours. Des comportements adolescents, parfois simplement liés à une rébellion contre l’autorité parentale ou scolaire, sont parfois, à tort, étiquetés comme de l’islamisme. Attention, cela ne veut pas dire qu’il n’ existe pas de mouvements islamistes. Mais les comportements adolescents ou les pratiques religieuses banales sont parfois étiquetés comme problématiques sans raison. Ce climat de suspicion ne facilite pas un débat équilibré. » Corinne Torrekens met en garde contre l’influence de certains acteurs qu’elle qualifie « d’entrepreneurs de la panique morale » (des intellectuels, écrivains, journalistes,…). Ces derniers amplifient des situations pour alimenter un discours alarmiste, parfois basé sur des raccourcis ou des théories du complot. Par exemple, le simple fait de fréquenter une mosquée de quartier pourrait suffire à être suspecté d’islamisme, ou un musulman politisé est souvent perçu comme dissimulant un agenda caché.
Des enseignants désarmés face à la religion
Du côté des enseignants, un vrai malaise se fait sentir. Faute de formation et de soutien adaptés, ils se retrouvent souvent perdus face à des questions religieuses. Les préjugés ou peurs qu’ils peuvent avoir sont alimentés par un débat public marqué par des clichés. Le port du foulard, par exemple, cristallise ces tensions. Bien qu’interdit dans la plupart des écoles bruxelloises, il reste un sujet sensible, souvent relié à des images associées à d’autres contextes, comme l’Iran. « Les professeurs ont des jugements de valeur, ce n’est pas une critique, nous en avons tous. Cependant, ils sont les récepteurs du débat public sur l’islam, un débat souvent teinté de préjugés. Ils ont aussi des craintes et une méconnaissance de l’islam lié à un regard occidental « blanc » et qui est souvent ancré dans d’anciennes images, comme par exemple la question du foulard qui est systématiquement reliée à la place des femmes en Iran. Mais nous ne sommes pas en Iran. Donc il y a à la fois des préjugés, des peurs, et une méconnaissance mais aussi un malaise parce qu’on ne sait pas comment aborder ces questions religieuses et que les professeurs ne disposent pas de relais sur lesquels ils peuvent compter. » Pour Corinne Torrekens, une meilleure formation et des compromis (comme autoriser le foulard à partir de 16 ans) pourraient apaiser ces tensions.
Des défis plus larges dans les écoles
Au-delà des questions religieuses, les écoles belges font face à des problèmes structurels : manque de moyens, concentration des élèves issus de milieux précaires, et absence de ressources pédagogiques adaptées. Dans ce contexte, réduire les tensions scolaires à des questions d’islamisme est une erreur : « Si toutes les mobilisations collectives ou tous les signes religieux sont systématiquement taxés d’islamisme, nous avons un réel problème » constate la politologue.
Une réflexion nécessaire
Ce livre s’inscrit donc dans un contexte où les débats sur la religion, l’école et la laïcité suscitent de vives réactions. Mais face à des discours alarmistes, il est essentiel de prendre du recul et de renforcer les outils pédagogiques pour favoriser une meilleure compréhension mutuelle. Néanmoins, une question demeure : dans quelle mesure les débats actuels reflètent-ils une véritable réalité sociale ou une projection de nos propres angoisses collectives ? « Nous n’avons pas de données chiffrées qui analysent l’impact de ces discours sur l’opinion publique. Cette question mérite une recherche à elle seule ! » conclut Corinne Torrekens.